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Accueil  /  (WEBINAR) Gouvernance, pilotage, éducation inclusive & avenir du métier de chef d’établissement, Bernard Hugonnier, Ancien directeur adjoint pour l’éducation à l’OCDE

(WEBINAR) Gouvernance, pilotage, éducation inclusive & avenir du métier de chef d’établissement, Bernard Hugonnier, Ancien directeur adjoint pour l’éducation à l’OCDE

Lorsque l’on parle d’un gouvernement, chacun comprend qu’il s’agit des personnes physiques le composant : en France, du Président, du premier ministre, de tous les ministres et les secrétaires d’Etat.

En revanche, lorsque l’on parle de gouvernance, la situation est nettement moins claire. Pourtant la gouvernance entend répondre à deux questions tout aussi simples. Ces questions sont les suivantes :

Comment sont répartis les pouvoirs entre les membres du gouvernement et Comment sont prises les décisions ?

Les questions son difficiles car le périmètre de responsabilités des ministres entre eux n’est pas toujours clair, ni celui entre le Chef d’Etat et le PM, ni celui entre les M et SE. Par exemple, dans le domaine de la défense nationale, savez-vous exactement qui est en charge et comment sont prises les décisions. Personnellement, je ne sais pas.

Le concept de gouvernance est apparu pour la première fois pour faire prévaloir le rôle des actionnaires sur celui des gestionnaires qui abusaient de leurs pouvoirs notamment dans les pays pratiquant un capitalisme anglo-saxon où les gestionnaires s’intéressent davantage à leurs intérêts qu’à ceux de leur entreprise contrairement au cas du capitalisme rhénan (Allemagne, Suisse, Pays-Bas) où les gestionnaires font l’inverse pour la bonne raison que l’entreprise où ils travaillent sont leur propre entreprise.

Vous comprenez ainsi immédiatement qu’il y a bonne et une mauvaise gouvernance : elle est bonne lorsqu’il n’y pas usurpation de pouvoirs (les actionnaires par les gestionnaires) ; lorsque les relations entre les membre du pouvoir sont bonnes (ils s’entendent bien ensemble ce qui est indication que personne ne tente de prendre du pouvoir à un autre) et lorsque le titulaire d’un poste a toutes les compétences pour remplir au mieux les fonctions de son poste. La gouvernance est mauvaise dans les situations opposées.

Interrogez-vous pour savoir si dans votre établissement la gouvernance est bonne ou mauvaise ?

L’OCDE a établi pour les entreprises des principes de bonne gouvernance en 1999.

Partant de cette approche, la question s’est alors posée pour savoir quelles leçons pouvaient en être tirées pour d’autres secteurs, et notamment pour celui de l’éducation.

Si l’on reprend définition de la gouvernance, les informations auxquelles on doit s’intéresser sont les suivantes : comment sont répartis les pouvoirs entre les diverses parties prenantes ; et comment sont prises les décisions :

I. Répartition des pouvoirs entre les diverses parties prenantes

Quatre cas se présentent :

  1. la répartition des pouvoirs entre le centre et la périphérie (c’est donc la question de la décentralisation qui peut se faire vers les régions (Italie, Espagne), les districts (Etats-Unis), les provinces (Canada), les Länder (Allemagne), les cantons ( Suisse), les nations (Royaume-Uni) mais aussi les villes (pays nordiques) ;
  2. la répartition des pouvoirs entre les entités décentralisés et les établissements d’enseignement (c’est la question de l’autonomie des établissements);
  3. la répartition des pouvoirs au sein de chaque établissement ;
  4. la répartition des pouvoirs au sein des communautés d’établissements coopérant entre eux (e.g. Belgique, Angleterre).

L’OCDE a étudié au sein des pays de l’OCDE ces quatre situations pour voir dans quelles étaient les évolutions les plus importantes sur les 15 dernières années.

Sur la question de la décentralisation (répartition des pouvoirs entre le centre et la périphérie) il y a peu de changement important. Il y a donc dans ce domaine une grande stabilité.

Sur la question de l’autonomie (répartition des pouvoirs entre la périphérie et les établissements d’enseignement) la situation évolue vers davantage d’autonomie mais à un rythme assez lent. Mais la France est le pays avec la plus faible autonomie.

En ce qui concerne la répartition des pouvoirs au sein des établissements, on s’éloigne du modèle du chef d’établissement (CDE) tête dépingle qui décide de tout pour se diriger vers un leadership partagé mais jamais vers une autogestion par les enseignants et les autres personnels (qui peut conduire à des situations de grande instabilité et de désordre).

En matière de communautés d’établissements qui s’entraident entre eux, les cas sont encore rares (Angleterre, Flandre) mais c’est certainement une solution d’avenir.

II. Comment sont prises les décisions ? Quels rôles pour les CDE ?

Décentralisation

Les CDE doivent répartir leur temps de travail différemment suivant la configuration à laquelle ils font face. Suivant la dernière étude TALIS de 2013 (celle de 2018 est en cours) de l’ordre de 40 % du temps de travail des CDE sont consacrés à des tâches administratives et de direction. Or, la formation des CDE à ces tâches diffère grandement d’un pays à un autre : elle est de 45% au Danemark, 35% en Australie, entre 20% et 30% au Portugal, en Angleterre, et en Lettonie ; entre 10% et 20% en Norvège, et inférieure à 10% en Pologne, Slovaquie, Israël, Tchéquie, France, Finlande, Belgique (Flandre) Italie, Suède, Pays-Bas, Corée, et Japon.

La conclusion qui s’impose est donc que si la tendance du long terme est une augmentation de la décentralisation, il s’en suivra davantage de tâches administratives pour les CDE . Il faudra en conséquence accélérer la formation des CDE dans ce domaine dans les pays qui sont en retard (comme la France)

Autonomie

Une même conclusion prévaut ici : plus l’autonomie augmente les responsabilités du CDE. Ces tâches augmenteront dans tous les départements mais vraisemblablement davantage dans celui de l’encadrement pédagogique. Or à nouveau, selon TALIS, les CDE sont peu ou mal formés pour cette fonction même s’ils le sont davantage que pour les tâches administratives. En moyenne, ils le sont pour les pays ayant participé à l’étude TALIS à 21% ; mais là encore on note de grandes disparités avec 8 pays ayant un pourcentage supérieur à 30% ; autant entre 30 et 20 %. La France est juste à 30% ; 4 pays sont entre 20% et 10% et 12 pays ont un taux inférieur à 10%. On voit donc que la fonction de CDE devra profondément s’adapter dans un grand nombre de pays.

30% de CDE formés en France est-ce suffisant ? Cela signifie que 70% ne le sont pas. Un effort devra là encore être fait.

QUIZ : dans les 34 pays de l’OCDE les CDE ont-ils plus d’autonomie pour i) recruter les enseignants ii) s’en séparer ii) déterminer leur augmentation de salaires ?

Réponses (Source : PISA)

  1. 63% des CDE peuvent sélectionner leurs enseignants
  2. 54% des CDE peuvent licencier leurs enseignants
  • 12% des CDE peuvent déterminer l’augmentation de salaires de leurs enseignants

La répartition des responsabilités au sein des établissements.

Les mentalités changent et vont encore changer. Il est difficile d’imaginer d’une part que le rôle du chef d’établissement soit simplement de mettre en œuvre les instructions ministérielles, et de l’autre soit le seul à prendre toutes et n’importe quelle décision dans son établissement sans consulter quiconque.

Désormais et de plus en plus le CDE doit prendre des initiatives, être évaluée sur sa capacité à en prendre, à les réaliser avec succès ; à gérer en consultation avec d’autres parties prenantes de l’établissement ; à fixer des objectifs pour l’établissement et à les atteindre (par une sorte de gestion par objectifs), et donc, au lieu d’être un simple administrateur ou un gestionnaire, pratiquer un leadership partagé.

Communauté d’établissements.

C’est une pratique peu usitée. Pourtant elle est prometteuse. Déjà il y a dix ans, dans son étude, l’OCDE avait visité deux établissements en Angleterre dont l’un où les élèves étaient très performants et l’autre qui connaissait la situation exactement opposée avec en plus des troubles sociaux, et qui après une coopérations avec le premier établissement avait connu un spectaculaire redressement.

Les conclusions d’ensemble qu’il convient de tirer de ces développements sont les suivants :

  • A l’avenir les CDE auront plus de responsabilités
  • Ils devront être préparés pour cela et en conséquence être mieux formés, notamment pour les tâches administratives et l’encadrement pédagogique
  • Ils devront partager ces responsabilités tant en amont (vers des communautés d’établissements) qu’en aval (vers des enseignants). Ils devront donc favoriser le travail en équipe parmi les enseignants ainsi qu’une approche systémique des politiques et des pratiques d’encadrement.
  • Ils devront s’appuyer davantage sur l’engagement des acteurs plutôt que sur leur conformité à des injonctions.
  • Ils devront enfin procéder à l’évaluation régulière des enseignants et en tirer les conclusions pour une éventuelle formation professionnelle.

Mais deux autres facteurs influent sur l’évolution du métier du chef d’établissement. Ils ont tout deux à nouveau été étudiés par l’OCDE. Le premier est le besoin d’adapter l’éducation aux besoins de la mondialisation y compris le remplacement des emplois par les robots et le codage ; le second est le besoin de lutter contre les inégalités scolaires non seulement par principe, mais aussi parce quelles créent des inégalités sociales, travaux de l’OCDE complétés par ceux portant sur les besoins spécialisés en éducation

a) La mondialisation nécessite que l’éducation réponde mieux qu’hier aux besoins des entreprises (je vous signale que c’est un thème abordé dans le dernier numéro de Foreign Affairs, la grande revue américaine d’affaires internationales). Ces besoins sont principalement de deux types : en premier lieu, les entreprises ont besoin que leurs employés soient très flexibles et puissent ainsi changer de métier au sein même de l’entreprise. Ce qui compte ce sont donc davantage que les compétences purement professionnelles, les compétences transversales que tout employé doit posséder (le numérique, la communication). Parmi ces compétences, la plus importante est la résolution de problème. Or cette compétence nécessite un apprentissage, non pas par discipline comme c’est le cas dans la plupart des systèmes éducatifs du monde, mais une éducation par thème, comme le font déjà l’Estonie ou par phénomène comme en Finlande. Par exemple, un thème peut-être celui de l’eau qui peut être décliné suivant la physique, la biologie, l’écologie, la politique, la sociologie etc. Or, l’enseignement de telles compétences et de l’enseignement pas thèmes nécessite évidemment une modification profonde de l’organisation scolaire dans ses temps et ses lieux ce qui va conférer un rôle essentiel aux CDE. Notons que la Finlande et l’Estonie sont les pays de l’OCDE dont les élèves ont les meilleurs scores dans PISA.

Enfin, on peut rappeler qu’en matière de nouvelles technologies qui sont, évidemment essentielles, suivant une étude de l’OCDE parue en mai de cette année[1], utiliser la technologie cela signifie : ne pas tenter d’ajuster la technologie aux didactiques et aux pédagogies actuelles mais faire l’inverse : c’est-à-dire modifier ses propres didactiques et pédagogies à la technologie. Il convient également de savoir utiliser les réseaux sociaux comme outil pour résoudre les problèmes en commun ; de même il faut que les enseignants apprennent à utiliser les jeux dans leurs pédagogies.

b) Enfin, la lutte contre les inégalités scolaires, sujet sur lequel l’OCDE a depuis longtemps travaillé en faisant œuvre de pionnier. Comme je lai indiqué la dernière fois, on a pu ainsi montrer que la loi en économique politique selon laquelle atteindre simultanément l’efficacité et l’équité n’était pas possible, ne valait pas en éducation politique : de fait, comme PISA l’a bien démontré les pays dont les élèves avaient les meilleurs scores dans PISA étaient des pays où les inégalités scolaires étaient les plus faibles. Rappelons qu’en France, où les performances des élèves sont à la 20ème place parmi les 34 pays de l’OCDE, l’équité est antépénultième parmi ces pays, ce qui signifie que l’école est loin d’être Républicaine et que légalité des chances n’existe pas dans notre pays. C’est au niveau des établissements que la lutte contre les inégalités scolaires doit se faire. En effet, il est du devoir des CDE de :

  • Eviter les classes de niveau et aux contraires renforcer la mixité scolaire qui limite l’échec scolaire
  • Repérer très tôt les élèves susceptibles de décrochage scolaire et prendre les mesures pour les aider
  • Eviter le redoublement et favoriser l’évaluation formative.
  • Offrir aux élevés à risque des services efficaces de conseil et d’orientation professionnels, et par ailleurs assouplir et diversifier les programmes d’enseignement. Un complément de soutien scolaire à la fin du secondaire peut également inciter les élèves à rester à l’école.
  • Soutenir les enseignants afin qu’ils améliorent leurs méthodes pour aider les enlevés qui prennent du retard.
  • Développer une relation fonctionnelle entre l’école et la famille pour l’apprentissage des enlevés

Comme vous le voyez le métier du CDE va devoir changer profondément dans les années à venir. Y sont-ils ou y seront-ils bien préparés par des formations adéquates ? Vaste question.

[1] Teaching for the Future | EFFECTIVE CLASSROOM PRACTICES TO TRANSFORM EDUCATION , OCDE, Mai 2018
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